Sentez-vous le flow en vous?
Le flow
Vous ne connaissiez peut-être pas l'expression mais vous avez peut-être ressenti l'impression d'être en parfait contrôle, un sentiment de plénitude qui vous a envahi alors que vous exécutiez une tâche.
Quelquefois? Souvent?
C'est à souhaiter.
Eh bien, cela a un nom. C'est le flow. Un mot anglais qui n'a pas été traduit. Si on le faisait, ça donnerait quelque chose comme le flux ou, même, le flot. On peut penser à une montée de plaisir, intense comme un orgasme. C'est le plus haut niveau de motivation que l'on peut atteindre au travail. C'est tout bêtement le bonheur au travail. Et on ne voit plus filer les heures.
C'est un professeur américain du département de psychologie de l'Université de Chicago, un homme au nom imprononçable, Mihaly Csikszentmihalyi qui, en s'intéressant à la créativité, a parlé pour la première fois du flow. Mais c'est un professeur à la faculté d'Éducation de l'Université de Sherbrooke, Charles-Henri Amherdt, qui l'a davantage développé et fait connaître dans le monde francophone.
Monsieur Amherdt a récemment fondé sa propre entreprise, InterQualia, avec laquelle il espère aider les travailleurs et les entreprises à vivre le flow le plus souvent possible. Selon lui, il y a moyen de développer un outil qui permet aux individus de cerner les situations professionnelles où ils peuvent être en flow. Pour les organisations de travail, un semblable outil est tout aussi intéressant puisqu'il permet de faire de meilleures adéquations entre les personnes et les tâches à exécuter. On améliore du même coup la productivité, la santé mentale et physique des travailleurs et on rend chacun moins dépendant des motivations extérieures au travail lui-même, comme le salaire par exemple. "Les gens en flow sont davantage conscients de ce qu'ils font. Ils ont un meilleure emprise sur la réalité. Il y a fusion entre la personne et l'action... Quand on leur confie une tâche, ils ne craignent pas les obstacles, les difficultés car ils se disent: je suis capable. S'ils ne peuvent les surmonter, ils vont les contourner. Tout simplement. Ils ne sont pas paralysés par la peur de l'échec. Leur récompense, c'est de faire ce qu'ils aiment et de bien le faire...", explique le professeur Amherdt, en entrevue, récemment. Selon lui, le flow est à la portée de tous. Point n'est besoin d'être un artiste, un professionnel, un cadre. En fait, il n'y a que les travailleurs à la chaîne qui peuvent difficilement réunir des conditions de flow, car il n'y a pas pour eux beaucoup de place pour l'initiative, pour la créativité, pour la flexibilité. Tous les autres travailleurs, y compris le plus simple exécutant, peuvent atteindre le flow pourvu que le mandat reçu laisse un peu de place à une "touche personnelle". Un concept inconnu À venir jusqu'à maintenant, le flow n'a pas occupé de place dans les médias. Il demeure encore un concept inconnu. Il faut remonter au journal Le Monde, en janvier 2000, pour retracer un article parlant du flow et de Charles-Henri Amherdt. On y lit qu'il y a un champ dans lequel le flow pourrait devenir utile: celui de la gestion des ressources humaines. "Pour générer et maintenir un bon niveau de flow, on en vient à promouvoir des pratiques de management et de gestion particulièrement intéressantes. Le rôle du manager évolue ainsi vers une fonction de coach, avec qui il est possible d'envisager une carrière personnalisée. La panoplie d'une gestion des hommes "modernes" va également se développer: clarté dans la fixation des objectifs, importance de la formation et de l'autoformation, programmes de parrainage, congés sabbatiques, congés d'éducation pour se former, accès à des conseillers en développement de carrière... Ainsi, derrière ce qui peut apparaître comme le dernier gadget managérial pour un esprit français encore traumatisé par vingt ans de chômage persistant, émerge sans doute un nouveau rapport entre individus et organisations. Rapport dans lequel une petite partie de la population est en situation de rareté, donc de force, et dans lequel les entreprises sont amenées à s'interroger sur la manière d'impliquer encore et toujours les salariés. Si cette question est une façon d'appliquer enfin ce que les gestionnaires des ressources humaines prônent depuis dix ans, il faut s'en réjouir. Surtout si ces progrès touchent, par ricochet, d'autres populations que celle des cadres. En revanche, si le flow devient un instrument de mesure des capacités individuelles à accéder au bonheur au travail, il est légitime de s'inquiéter. Aura-t-on encore le droit de rester lucide - sans même parler d'être critique - sur nos situations professionnelles? Sommes-nous condamnés à être heureux au travail?", a écrit Sandra Bellier à ce sujet. -, Gilles Fisette, La Tribune- |
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